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[Le Monde Libertaire] La science victime de l’hypercriticisme

La question du scepticisme en sciences est cruciale. La « méthode » sceptique est une nécessité de l’acte même de chercher une explication à un phénomène donné. Employée abusivement, à des fins idéologiques ou par ignorance, elle se transforme en hypercriticisme, une outrance permanente et spécieuse qui nie l’esprit même de la démarche scientifique. Cet article l’illustre avec l’exemple de la négation des causes avérées de la destruction des tours du World Trade Center.

Neuf ans après les faits, la question portant sur l’analyse scientifique des attentats du 11 septembre 2001 reste encore très polémique. En effet, dans le champ des explications alternatives radicales et pour les adeptes du complot interne de l’administration américaine, les tours jumelles du Word Trader Centre (WTC1 et WTC2) étaient bourrées d’explosifs, un missile ou un véhicule piégé serait venu détruire une partie du Pentagone, et un avion de chasse américain aurait abattu un avion civil en plein vol pour une raison aussi floue qu’inconnue.
C’est dans cet esprit social inquiet que Jérôme Quirant, agrégé de génie civil et maître de conférences au Laboratoire de mécanique et génie civil (UMR 5508 CNRS/université de Montpellier 2), a décidé de créer en 2008 un site Internet dédié aux questions techniques portant sur ces attentats 1. Il vient de publier deux ouvrages de réflexions et d’analyses techniques liés à ces événements 2. Face aux multiples théories alternatives remettant en cause radicalement la version « officielle » des rapports scientifiques, au travers de livres, de films ou de sites Internet, Quirant a souhaité répondre aux légitimes interrogations techniques de tout un chacun au moyen de la raison, de la méthode scientifique, de l’expertise, de la vulgarisation et du domaine qui semble le mieux convenir à ce type de problématique : le calcul des structures.

Le cas des tours
Démontant les rumeurs, Quirant nous explique que sans rechercher des causes cachées ou manipulées, une connaissance minimale des bases de la physique et l’étude des structures des bâtiments suffisent à comprendre l’effondrement des tours WTC1 (417 mètres) et WTC2 (415 mètres), victimes d’une série de contraintes et de sollicitations inhabituelles : imaginons la puissance d’un impact de Boeing 767-200 (une centaine de tonnes lancées à 800 km/h), avec ses réacteurs, ses éléments rigides et « près de trente mètres cubes de kérosène » où ce dernier, joint à des éléments internes (matériels, consommables, etc.), a nourri un incendie et fait monter la température « rapidement au-delà de 1 000 °C », créant une modification importante de la résistance et de la rigidité des structures mécaniques au centre et à la périphérie des tours, engendrant un phénomène de flambement ; des éléments de protections incendies endommagés ; des « planchers […] suspendus […] calculés uniquement pour supporter leur propre poids » et non pour « stopper l’effondrement des blocs supérieurs » soit « une charge égale à 15 ou 30 fois celle pour laquelle il avait été calculé » ; un environnement en (sur)pression, etc. La tour WTC1 s’est effondrée au bout de 102 minutes et la tour WTC2 au bout de 56 minutes. Quant à la tour WTC7 (173 mètres), ce sont essentiellement « les débris de la tour WTC1, située à un peu plus de 100 mètres, qui ont heurté sa façade sud », causant un incendie (aidé par du fuel, des matériels stockés) de presque sept heures, déstabilisant cette structure (dilatations, ruptures de liaisons, etc.) prévue pour résister à un incendie de deux à trois heures, qui ont engendré d’abord « un effondrement interne » puis « une rupture du bâtiment à sa base » (dans le cas des tours WTC1 et WTC2, l’effondrement s’est produit de haut en bas).

Le fantastique et la raison
Charles-Victor Langlois et Charles Seignobos décrivent dans leur Introduction aux études historiques 3 la position hypercritique comme « l’excès de critique qui aboutit, aussi bien que l’ignorance la plus grossière, à des méprises. […] L’hypercritique est à la critique ce que la finasserie est à la finesse. Certaines gens flairent des rébus partout, même là où il n’y en a pas. Ils subtilisent sur des textes clairs au point de les rendre douteux, sous prétexte de les purger d’altérations imaginaires. Ils distinguent des traces de truquage dans des documents authentiques. État d’esprit singulier ! à force de se méfier de l’instinct de crédulité, on se prend à tout soupçonner ».
Quirant pointe un certain nombre d’éléments qui favorisent l’émergence et le développement de théories complotistes que je qualifierais justement d’hypercritiques. Tout d’abord, le manque de rigueur, les raccourcis erronés, les analogies trompeuses, les interprétations hasardeuses, des témoignages imprécis, une absence de compétences techniques et scientifiques, une « méconnaissance évidente des bases élémentaires de la mécanique, du calcul des structures ou du comportement des matériaux » comme celle des techniques de démolition contrôlée, des calculs fantaisistes, des réactions exaltées et dogmatiques plus que raisonnables et posées, une certaine « idée de faire partie des “initiés”, ceux qui savent envers et contre tous », une utilisation et un abus « d’effet de manche et de rhétorique », un déplacement vers des « considérations géo-politico-stratégiques, afin de donner du sens à des phénomènes physiques qu’ils ne maîtrisent pas » où « certains voudraient aujourd’hui réécrire la mécanique pour la mettre en adéquation avec leurs croyances », discréditer tout technicien ou scientifique chargé des analyses scientifiques remettant un document « officiel » qui « fait consensus au sein de la communauté du génie civil ». Sur ce dernier point, tous les scientifiques mentiraient et la communauté scientifique internationale comploterait dans un seul et même sens pour un même et unique but. Tout ce beau monde ne serait finalement « que des imbéciles qui n’y voient pas plus loin que leur nez. Car il faut vraiment être un sacré crétin pour ne pas voir ce que le truther 4 moyen, armé d’un simple clavier et de sa souris, arrive à débusquer. […] Malheureusement, la bonne compréhension des phénomènes mis en jeu nécessite parfois de tels prérequis, ou un tel effort de réflexion et d’analyse, qu’elle reste inaccessible pour beaucoup. Il est alors bien plus facile, en faisant trompeusement appel au “bon sens”, de se réfugier dans une explication simpliste qui présente l’avantage d’être compréhensible par tous ». « Il est nettement plus facile de proposer une solution alléchante et simpliste en une phrase péremptoire, qu’une démonstration scientifique de plusieurs pages, alourdies de formules mathématiques. »
Les théories alternatives complotistes hypercritiques ne se rendent pas compte de l’impressionnante logistique qu’il aurait fallu mettre en œuvre, en hommes et en matériels, avec une minutie et une exactitude incroyable (pour mettre sur pied un complot interne, le sabotage d’immeubles préalablement affaiblis ceci en toute discrétion – en secret –, la disparition d’objets en tout genre, la falsification de données et le montage d’informations, le musellement voire l’exécution de gêneurs, etc.), le tout sans une seule fuite ou preuve matérielle concluante. Au final, Jérôme Quirant propose comme il est d’usage dans la communauté scientifique que les contradicteurs proposent et soumettent des articles techniques et scientifiques au sujet de leurs thèses alternatives à des revues adéquates (éviter par exemple les revues d’architectes d’intérieur, de cinéma, de littérature, de finance, de géostratégie, etc., mais plus en rapport avec le génie civil), reconnues comme sérieuses dans le milieu scientifique, avec un comité de lecture, des reviewers, etc., pour les faire valider. Pour le moment, aucune de ces théories alternatives « ne tient la route d’un point de vue scientifique. Aucun spécialiste du domaine n’a remis en cause les grandes lignes des conclusions validées par la communauté ».

Valéry Rasplus, essayiste, sociologue

1. www.bastison.net
2. Jérôme Quirant, 11 septembre et théories du complot, ou le conspirationnisme à l’épreuve de la science, Book-e-book, 2010 et La Farce enjôleuse du 11 septembre, Books on Demand, 2010.
3. Hachette, 1898. Disponible en ligne sur http://classiques.uqac.ca/
4. On désigne ainsi celui qui rejette les explications courantes des événements du 11 septembre (NdR).

Source : Le Monde Libertaire n°1603 (9-15 septembre 2010)

Téléperformance en live : Rapport n°3

TELEPERFORMANCE (Site de Paris Montparnasse) EN LIVE

RAPPORT 03 : FLICAGE OR NOT FLICAGE ?

Après deux premières semaines de formation théorique, votre serviteur undercover a goûté au joies du « terrain », entendez par ce terme que j’ai effectué deux semaines de formation pratique avec de véritables prises d’appels et de véritables clients ayant des problèmes de connexion, modem, etc… Le but de ces deux nouvelles semaines étaient de nous faire entrer dans la réalité du métier de hot-liner Wanadoo (pardon, de Technicien Conseil Internet), eh bien, je dois dire que ce métier est intéressant, ce qui l’est moins en revanche, c’est l’environnement dans lequel je dois le faire… Le « terrain » étant terminé (retour à la formation finale théorique), je vous livre l’envers du décor façon brut de décoffrage…

« Contrôle qualité », « suivi des collaborateurs », « sondage de compétence », « écoute sur plateau », « écoute aveugle »… La langue française est si belle avec ses images, ses métaphores, ses euphémismes… Mais la langue de Molière, c’est aussi appeler un chat un chat. Ainsi, tous les termes précités entre guillemets peuvent être rassemblés sous un même terme générique contemporain : le flicage.

A Teleperformance, la fameuse norme Iso 9002 (cf Rapport 02) et les nombreux contrôles qualité qu’elle exige est la porte ouverte aux dérives de toutes sortes et la justification du flicage permanent. Ainsi, les responsables de l’encadrement (Responsables d’Unité Opérationnelle, Superviseurs et membres de la Direction) vous tiendront le discours suivant : « vous comprenez, si nous voulons garder notre certificat Iso 9002, nous devons nous assurer en permanence de la qualité du travail de nos collaborateurs… »

Et vous le verrez, camarades, les « contrôles qualité » sont nombreux, trop nombreux… Avant d’en venir au morceau de choix, c’est-à-dire le flicage interne, nous aborderons dans un premier temps le flicage externe; le but avoué étant que vous réalisiez à quel point le salarié (pardon, le collaborateur) de Teleperformance est cerné de toute part.

A) Le Flicage Externe

Il faut le savoir, Teleperformance est jaugé en permanence par un institut de sondage, la Soffrès. En effet, sur une période donnée, cet institut rappelle par téléphone les derniers abonnés Wanadoo qui ont eu recours à l’assistance technique téléphonique (pardon, le Service Client) et les soumet à une batterie de questions destinées à analyser leur niveau de satisfaction. Comme bien souvent, toutes les informations recueillies sont stockées, analysée avant d’être interprétées en chiffres, pourcentages, diagrammes et autres camemberts, bienvenu dans un monde de statistiques…

A l’heure actuelle, je n’ai pas d’autres éléments d’information sur les rapports de la Soffrès ; d’après nos formateurs, Teleperformance s’en tire toujours haut la main, ce qui me fait soudain songer que j’ai eu décidément beaucoup de chance d’être embauché au sein d’une entreprise aussi performante ! C’est si valorisant d’appartenir aux winners !

Venons-en maintenant au flicage interne…

B) Le Flicage Interne

Si vous avez lu les deux premiers rapports, vous n’êtes pas sans savoir que les Responsables ne cessent de répéter (les joies du vieux disque rayé) aux Techniciens Conseil (les Techs, en jargon maison et TC (pour faire plus court) qu’ils sont au cœur et le cœur du centre d’appel (pardon, Centre de Contact), et pour les valoriser, la Direction n’a rien trouvé de mieux que d’être constamment sur leur dos…

Cette partie détaillera les divers aspects du flicage interne, vous verrez que la Direction use d’outils matériels (téléphones, ordinateurs) mais aussi d’outils humains (Superviseurs(euses), Administrateurs Réseaux) pour s’assurer que tous rament (au propre comme au figuré !) dans un seul sens, celui de la Direction. Mais avant toute chose, évoquons en quelques lignes la culture d’entreprise…

1) La Culture d’entreprise

La culture d’entreprise, c’est un ensemble de règles non écrites qui viennent s’additionner au Règlement Intérieur. Et si ces règles implicites ne figurent pas par écrit dans le Règlement Intérieur, c’est qu’il y a une raison : l’inspection du travail serait alors à même de juger de l’iniquité des diverses dispositions… Ainsi, à Teleperformance, la Culture d’Entreprise

  • me déconseille fortement le port du jean bleu et des baskets
  • me conseille vivement de venir en chemise et cravate
  • m’invite à venir 10 minutes en avance pour mon « log on » téléphonique et informatique
  • m’interdit de laisser ma veste sur le dossier de ma chaise et m’oblige à suspendre cette dernière sur un cintre
  • m’interdit de mettre mon sac sur le bureau
  • m’interdit d’utiliser une bouteille d’eau pour boire à mon gré quand ma bouche est sèche à force de parler
  • m’oblige à demander la permission pour partir en pause (ce qui revient à demander la permission pour aller aux toilettes ce qui je vous le rappelle n’est en vigueur qu’à l’armée et en prison)

Ces petits éclaircissements ayant été apportés, voici poindre une petite question ludique : devinez un peu qui est chargé(e) de veiller à ce que toutes ces dispositions soient respectées et/ou appliquées ? Gagné, le(la) Superviseur(euse) (Sup, en jargon maison)…

2) Les Superviseur(euse)s

Avant toute chose, je voudrais tout de même souligner que j’ai croisé des Superviseur(euse)s sympathiques et compréhensif(ve)s, mais il faut aussi admettre que la nature même de cette fonction engendre des dérives…

Les Superviseur(euse)s sont les Chiens de garde de la Direction, le bras armé de la répression et du flicage interne. Chargé(e)s d’encadrer les Technicien(enne)s, ils(elles) se livrent continuellement au harcèlement ; planté(e)s devant leur écran d’ordinateur, ils(elles) suivent l’évolution de votre travail : temps de communication, ce que vous êtes en train de saisir dans la fiche du dossier client (logiciel Conso+, pour ceux et celles qui connaissent)…

Ce sont eux(elles) qui vous donnent le feu vert pour partir en pause : en théorie, le(la) TC demande juste un aval, dans la pratique, il(elle) se voit souvent répondre : « tu peux prendre encore un appel avant ? » Après avoir pris le dit appel, il faut redemander l’autorisation de pause… Officiellement, l’on vous répondra que les Superviseur(euse)s doivent vérifier l’état des appels en attente, etc… Mais dans la pratique, ce n’est ni plus ni moins que la résultante d’une stratégie d’infantilisation du TC, on infantilise pour rendre docile… On fait en sorte que le(la) TC ne se lève pas de sa chaise, il(elle) doit rester assis(e) et répondre au téléphone, tout ce qui sort de ce cadre strict doit être contrôlé, soumis à autorisation…

Mais l’ignominie de ce poste ne s’arrête pas là, le rôle (non avoué) des Superviseur(euse)s est de créer un stress permanent chez le(la) TC : il faut savoir que dès qu’un(e) abonné(e) à raccroché, le voyant « after call » (ou ACW) du téléphone du TC s’allume (les Superviseur(euse)s le voient de suite) et ce dernier doit appuyer sur la touche « prêt » pour éteindre ce voyant « after call », s’il ne le fait pas, il a droit à un « Patrick, tu peux te mettre en prêt ? »

Autre cas de figure, il arrive souvent au TC de faire patienter un client le temps de parcourir la Base de Connaissances Techniques (base de co, en jargon maison), si le client raccroche sans que le(la) TC s’en aperçoive, le téléphone se met en « after call » et là, les Superviseur(euse)s l’appellent au téléphone et se montrent inquiseur(trice)s : « tu peux m’expliquer pourquoi t’es en after call depuis 3 minutes ? » Ainsi, pour mon premier jour de « terrain », j’ai eu maille à partir avec une Superviseuse qui me harcelait parce que je n’appuyais pas sur la touche « prêt » de mon téléphone, j’avais beau lui expliquer que c’était mon premier jour, elle ne voulait rien savoir : « oui, mais t’as 10 secondes pour historiser ! Et de toute façon, tu dois historiser pendant que t’es avec le client, pas après ! » A la longue, je ne l’écoutais plus et je prenais mon temps quand même ! Voyant que je ne lui obéissais pas, elle m’a envoyé un Superviseur mâle pour me faire obtempérer, le Sup en question me sort le même discours (« tu dois historiser pendant que t’es avec le client »), je lui ai expliqué calmement que c’était mon premier jour et lui m’a fichu une paix royale…

Dans le même registre d’idée, si le(la) TC dépasse les 20 minutes de communication, il(elle) a droit à un appel interne : « Patrick, ça fait 30 minutes que t’es avec le client, tu t’en sors ? » Vu sous cet angle, c’est plutôt positif puisqu’il s’agit d’aider le(la) TC en difficulté, mais il arrive fréquemment que les Superviseur(euse)s vous demandent de conclure, encore une fois cela dépend des Superviseur(euse)s mais cela peut engendrer chez le(la) nouveau(elle) TC une source de stress supplémentaire…

Afin d’être un sous-marin efficace, j’avais pris le parti de jouer d’entrée le salarié soumis, mais je n’ai pu m’empêcher de faire sonner un autre son de cloches… L’occasion s’est présentée à moi dès mon premier jour de terrain : j’ai pris quelques appels puis un Superviseur m’a convoqué avec d’autres TC pour me bourrer le crâne avec un bref exposé sur la fameuse Gestion de PARC (cf Rapport 02). D’emblée, ce monsieur m’a fortement agacé par son incorrection de ton et sa façon de mâcher du chewing-gum tel un sergent instructeur des marines… Alors qu’il abordait le chapitre de la tenue de travail, un autre TC jouait les vendus et lécheur de botte en abondant dans son sens pour se faire bien voir, le Sup étant aux anges, votre serviteur a cru bon de devoir contrebalancer… Ce faisant, j’ai dit au Sup en question qu’il me paraissait anormal d’être obligé de venir en chemise et cravate pour éviter de se faire mal voir, que Teleperf étant un prestataire de service, cela signifiait donc que nous les TC n’étions pas en contact avec le client Wanadoo Interactive (ex France Telecom Interactive) et que nous pouvions nous habiller comme bon nous semblait, l’essentiel étant avant tout de bien traiter les appels des abonné(e)s Wanadoo… Le Sup s’est alors empêtré dans ses réponses, se contredisant sans cesse, et moi j’insistais exprès… L’autre TC (le vendu cité plus haut) a pris soin de lui venir en aide, du coup, le Sup se tournait systématiquement vers lui quand il parlait, préférant à n’en pas douter un auditoire plus acquis à sa cause… Quant à moi, comme j’insistais toujours sur l’aspect vestimentaire et la discrimination qu’il engendrait (le Sup ayant avoué explicitement qu’il jugerait négativement toute personne de son équipe qui ne serait pas habillée selon ses désirs, même si la personne en question est un(e) très bon(nne) TC ; sachant que c’est ce même Sup qui vous note et décide de votre avancement (passage en Aide Volante ou autre), cela fait froid dans le dos !), je me suis vu répondre : « Je trouve que tu polémiques beaucoup… » Ce à quoi j’ai répondu : « Oh moi, je ne cherche pas la polémique, j’arrive dans une nouvelle entreprise qui a un certain mode de fonctionnement, je pose juste des questions pour le connaître, j’aime les situations claires, et maintenant, je suis fixé… » A cela, le Sup s’est de nouveau emmêlé les pinceaux expliquant qu’il n’y avait pas de tenue correcte exigée, mais qu’il fallait avoir un minimum de respect vis des autres collaborateurs, etc…

Mais revenons aux pauses…

A Teleperformance, les pauses durent 10 minutes, pas une de plus : entendez par cette précision que le(la) Superviseur(euse) viendra vous chercher en salle de pause si vous excédez votre temps; en revanche, si le(la) Sup ne vient pas vous chercher (oh bonheur !), à votre retour au poste de travail, vous aurez droit à une interpellation verbale musclée : « Patrick, ça fait 12 minutes que tu es parti en pause ! »

Comme je l’ai dit plus avant, il convient de demander une autorisation pour partir en pause… Refusant de se plier à cette règle, votre serviteur a pris une pause sans rien demander à personne… Marchant dans un couloir, il rencontre son Sup (le même que plus haut) qui lui tient ce langage :

« Dis-moi, [mon prénom], tu es parti en pause ?
– Oui, ai-je répondu avec assurance.
– Et à qui as-tu demandé avant de partir en pause ?
– A personne, j’ai dit calmement.
– Ah oui, tu pars en pause comme ça, toi ?
– Oui, j’ai fait en le regardant droit dans les yeux.
– Tu vois, si tout le monde se met en pause au même moment, nous, nous sommes embêtés parce que plus personne ne prend d’appels, c’est pour ça qu’il faut prévenir la Vigie (Vigie=Superviseur(euse) devant son écran de contrôle) avant…
– Donc, ai-je répondu, si j’ai bien compris, il faut que je demande la permission pour partir en pause ?
– Non, il s’agit pas de permission, on est des adultes, on n’est pas à l’école…
– Mais pourtant, tu veux que je demande la permission pour partir en pause…
Arrive à ce moment un RUO qui prend part à la conversation :
– Je ne parlerais pas de permission car ça fait un peu scolaire, non, ce que l’on veut c’est que la Vigie soit prévenue… »

Vous l’aurez compris : à Teleperformance, on n’ose appeler les choses par leur nom véritable; ainsi, il n’y a pas de tenue de travail exigée, mais il est préférable de pointer en chemise et cravate, nul besoin de demande de permission pour partir en pause, mais obligation de « prévenir » la Vigie que l’on part en pause, c’est Serge Gainsbourg qui répétait inlassablement dans une chanson extraite de l’album Love on the Beat : no comment…

Bien entendu, si vous êtes complètement absorbé(e) par le flux des appels et que vous en oubliez vos pauses (cela m’est arrivé quasiment tous les jours en raison du stress généré par les différents appels client), personne ne vous fera remarquer que vous avez passé toute une matinée sans prendre de pause… Pour rebondir sur ce cas, suprême délice, sachez que les pauses ne sont pas récupérables : vous avez oublié de prendre vos pauses pendant deux heures et souhaitez cumuler 20 minutes d’un coup ? Vous n’aurez droit qu’à 10 minutes : la maison ne fait pas crédit (de pause) !

Le calcul des pauses… Pour une matinée de travail allant de 8h à 13h, l’on s’aperçoit que le(la) TC n’est pas autorisé(e) à prendre de pause lors de sa première heure de prise de service ainsi qu’à sa dernière heure de service…

Pour conclure sur ces Chiens de garde, je voudrais dire ceci : je n’aime pas les Superviseur(euse)s. Certes j’en ai rencontré d’estimables, certes nous en comptons parmi nos camarades, mais je veux redire ici avec force que je n’aime pas cette fonction car c’est une fonction de flicage : ces personnes observent, scrutent en permanence d’autres personnes qui sont leurs collègues et dressent sur elles toute une série de statistiques faisant peu de cas de leur qualité d’humain. De plus, non obstant leurs agissements, il semblerait que les Superviseur(euse)s de Teleperformance ne soient pas les pires; récemment, nous avons appris que les Sup de Symphoning (un Call Center appartenant à Norwich Union) avaient en leur possession des moyens de flicages plus sophistiqués qui leur permettaient notamment d’épier en permanence le bureau Windows des Télé Acteurs…

Je n’aime pas cette fonction car elle permet à des individus de faire la pluie et le beau temps sur la carrière d’autres individus : le(la) Sup vous note, est consulté(e) pour votre avancement. A Teleperf, c’est votre Sup qui décide si vous passerez en Aide Volante ou non, c’est votre Sup qui décide de votre avenir dans l’entreprise et si vous n’êtes pas en CDI mais vacataire, le(la) Sup décide si votre contrat sera renouvelé ou non. Pour un Call Center, le recrutement des Superviseur(euses) est stratégique : le(la) candidat(e) devra veiller au gagne-pain de l’entreprise, c’est-à-dire les appels… La mission étant de surveiller étroitement les employé(e)s afin de s’assurer qu’ils(elles) remplissent leur quota, le Call Center portera son choix sur les candidat(e)s les plus dociles, ceux et celles qui ont les faveurs de l’entreprise, ceux et celles qui n’ont jamais manifesté d’intentions syndicales, etc… Bien sûr, lors du recrutement, l’on vous tiendra toujours le même discours :  » les Superviseurs sont choisis parmis les Téléacteurs (et/ou Technicien Conseil) les plus méritants…  » Mais ici, il faut comprendre qu’être méritant signifie ne pas faire de vague et accepter d’être corvéable à merci…

Mais ce tableau sur les outils humains du flicage ne serait aucunement complet si l’on n’abordait pas le cas des Administrateurs Réseau…

3) Les Administrateurs Réseau

Tout d’abord, à Teleperf, l’on ne dit pas Administrateurs Réseau, non, ce serait beaucoup trop ringard (et puis la culture d’entreprise n’aime pas appeler les choses par leur nom véritable) ! Tout le monde parle des CTI, attention : il faut prononcer ces trois lettres à l’américaine, c’est-à-dire « si ti ail » ! Snobisme complètement stupide car ces trois lettres ont une signification française : Couplage Téléphonique Informatique. Ainsi, ces CTI au nombre de trois font la jonction de la technologie de l’informatique avec celle de la téléphonie…

En bons Administrateurs Réseau, les CTI sont eux aussi le bras armé du flicage interne. Les TC travaillent sur un ordinateur (tournant sous Windows NT) entièrement bridé : pas d’accès au disque dur, impossibilité de faire un clic droit sur le bureau Windows pour faire apparaître le menu contextuel, impossibilité de double cliquer sur l’horloge pour avoir le calendrier ou modifier l’heure, impossible d’envoyer et de recevoir des e-mails (courriel) extérieurs à l’entreprise à l’aide d’Outlook… En revanche, l’accès à l’Internet est possible, mais oubliez toute idée de download (téléchargement) et ne comptez pas non plus effacer l’historique et le cache d’Internet Explorer ! Quant au chat (Yahoo Chat, Voilà Chat, etc), il est techniquement possible, mais formellement interdit par la Direction; selon les Sup, la consultation et l’envoi de courriels sur des sites tels qu’Hotmail, Caramail, etc sont plus ou moins tolérés.

Comme l’entreprise fonctionne en réseau, chaque TC bénéficie d’un nom d’utilisateur(trice) et d’un mot de passe pour utiliser un poste informatique. Je n’ai aucune information à ce sujet, mais j’imagine que chaque action du TC sur le réseau est enregistrée, les camarades spécialistes du Syndicat de l’Industrie Informatique ne manqueront pas de nous éclairer sur ce point…

Il faut savoir que les CTI sont les petits privilégiés de Teleperformance : ils n’ont pas à ma connaissance de supérieurs sur leur dos, ils travaillent dans un bureau à part avec des ordinateurs non bridés et ils ont le droit, eux, de s’habiller en jean délavé et vieilles baskets, une place de choix, n’est-il pas ? Lorsque l’on passe dans le couloir attenant à leur bureau, il n’est pas rare de voir un écran de jeu affiché sur le moniteur d’un CTI. Quant au salaire, je n’en connais pas le montant, mais je doute qu’il soit aussi bas que les TC : un bon Administrateur Réseau, ça se paye…

Telle est la description que je peux faire de ces Administrateurs Réseau qui n’en sont pas (rappelez-vous, ce sont des « si ti ail » !) ; n’en déplaise aux camarades du Syndicat de l’Industrie Informatique, si le slogan publicitaire de la SCNF est « Le progrès ne vaut que s’il est partagé par tous », eh bien, les informaticiens en font souvent peu de cas…

4) Le Téléphone

Avant d’aborder la Culture d’Entreprise, j’avais apporté une distinction claire entre outils matériels de flicage interne (téléphones, ordinateurs) et outils humains de flicage interne (Superviseur(euse)s, Administrateurs Réseau). Il me paraissait inutile de faire à la fois une partie Ordinateur et une partie Administrateur Réseau, cette dernière incluant du fait même de la fonction la partie Ordinateur… Il en est de même pour le téléphone, pourtant, il convenait de créer une partie Téléphone à part entière car cet appareil est le premier instrument de travail de tout salarié d’un Call Center…

Mais avant que d’être un outil de travail, à Teleperformance, le téléphone est THE instrument de flicage interne par excellence… Cette entreprise n’a pas besoin de pointeuse : le téléphone s’en charge ! Ainsi, comme pour accéder au réseau informatique, chaque TC dispose d’un numéro de log téléphonique qu’il(elle) entre pour travailler… Dès lors que le(la) TC a procédé à son log on, le téléphone fait office de mouchard : l’heure d’arrivée (= de pointage) est enregistrée, le temps de chaque communication est compté, l’état d’après appel (touche « after call ») est indiqué ou non, le temps de pause est décompté, c’est identique pour l’heure de fin de service (log off)… Toutes les données recueillies sont traitées (soit par les CTI soit par les Sup, sur ce point, je n’ai pu obtenir d’informations précises, le secret est bien gardé) et les Sups en tirent les conséquences… A titre d’exemple, un TC se trouve à son poste de travail et il reçoit un e-mail interne d’un Superviseur lui enjoignant de venir le voir dès que possible. Dès qu’il se rend auprès du Sup, ce dernier lui demande : « Dis-moi, Patrick, tu avais 11 minutes de retard hier, tu peux m’expliquer pourquoi ? »

Quant au travail proprement dit, l’on serait en droit de penser qu’une fois en ligne, le(la) TC est tranquille, que nenni ! Chaque téléphone dispose de 3 lignes : la première est réservée à l’abonné(e) Wanadoo, les deux autres sont des lignes internes usitées par les Sup, à tout moment, ces derniers peuvent appeler le(la) TC lequel(laquelle) doit faire immédiatement patienter le client pour répondre aux Superviseur(euse)s…

Pour imager la relation Technicien(enne) Conseil/Téléphone, l’on peut utiliser un bagnard dans un pénitencier : le boulet rappelle à tout moment au condamné qu’il n’est pas libre, il en va de même pour le(la) TC avec son téléphone (bien entendu, je fais tout de même une distinction entre les faits graves se déroulant dans les prisons et l’ambiance de travail à Teleperformance)…

Ce rapport numéro trois a pour titre Flicage or not flicage ? C’est une question, mais une question réponse : oui, les employé(e)s sont fliqué(e)s. Oui, un climat strict de travail est imposé par l’encadrement et la Direction. Oui, les Superviseur(euse)s se conduisent en gendarmes. Oui, cela déplaît fortement aux employé(e)s, mais ces dernier(ère)s se plient aux différentes règles pour la simple raison que s’ils(elles) travaillent là, c’est qu’ils(elles) n’ont rien trouvé de mieux…

Vous comprendrez aisément que tout ceci ne m’incite pas à demeurer en place; bien sûr, j’aurais pu commencer une petite lutte en tentant de motiver quelques troupes, mais l’environnement n’est pas propice, le turn over permanent des TC ne permet pas l’action d’envergure, j’entrerai plus avant dans les détails dans le quatrième et dernier rapport…

Mais que cela ne m’écarte pas de la déontologie maison, c’est la raison pour laquelle, « je vous souhaite une agréable fin de soirée de la part de Wanadoo… »

 Un futur employé (anonyme) de Teleperformance France

Teleperformance en live : Rapport n°2

TELEPERFORMANCE (Site de Paris Montparnasse) EN LIVE

RAPPORT 02 : UN GRAIN DE SABLE DANS LA MACHINE OU FRITURE SUR LA LIGNE ?

Le 5 juin 2001, l’organisation du travail ne sera plus la même pour le CDC 1 (Centre De Contact) sis à Montparnasse : en effet, la gestion de PARC (Programme Ambition Relation Client) entre en vigueur. Les dirigeants, les formateurs de Teleperformance sont unanimes : c’est un vent nouveau qui soufflera désormais…
Jusque là, il faut le savoir, Teleperformance gagnait de l’argent sur le nombre d’appels reçus (un appel reçu est un contact). Dorénavant, la donne change : France Telecom Interactive (devenu depuis peu Wanadoo Interactive) a découpé la France en 3 zones géographiques ayant chacune un portefeuille de 800 000 abonnés. 1 zone est gérée par France Telecom, 1 zone est gérée par Atos (un concurrent de Teleperformance), 1 zone, la dernière, est gérée par Teleperformance. Cette même entreprise gèrera donc les abonnés du bassin pyrénéen-aquitain…

Concrètement, cela signifie que France Telecom Interactive (FTI) vend à Teleperformance le portefeuille de clients (au nombre de 800 000, cf plus haut), chaque client coûtant 8 ou 10 F. Notez au passage qu’il est tout de même étrange qu’une entreprise publique vende la liste de ses clients à une entreprise privée sans l’accord des dits clients, d’autant que l’entreprise privée en question possède toutes les informations relatives au client (adresse, numéros de téléphone, fax, mots de passe, etc)… Ce que veut FTI est simple : que la société Teleperformance ne perde aucun abonné et qu’elle augmente le nombre d’abonnés de son portefeuille… 
Pour ce faire, le Technicien Conseil deviendra de plus en plus un Technico Commercial… Tiens ? Mais comme c’est étrange ! Ce n’est nullement ce qui était prévu lors de la Journée d’Information Recrutement (JIR)… Mais laissons cela, reprenons : non seulement le Technicien Conseil devra réparer les problèmes techniques, mais il devra désormais pousser le client à souscrire à une offre plus avantageuse… pour FTI, bien sûr… Pour l’instant, les Formateurs nous rassurent en nous indiquant que notre travail sera à 95 % technique et 5% commercial, mais chacun sait que les promesses patronales n’engagent que ceux qui les reçoivent, c’est-à-dire les employés…
La question pertinente est : que gagne l’abonné Wanadoo dans cette histoire ? Théoriquement, le Technicien Conseil ne sera plus poussé à expédier l’appel, la consigne étant désormais d’accompagner entièrement l’abonné pour qu’il ne rappelle plus dans la journée : ainsi l’appel d’un abonné A sera plus long, mais unique… In fine, FTI améliore ainsi sa hot-line (son service client, en bon français) et accroît son nombre d’abonnés par le bouche à oreille), que c’est beau la théorie, n’est-ce pas ?

Cependant, quelques grains de sable viennent entraver la bonne marche de cette mécanique bien huilée, je vous les donne en vrac ?

Quand vous arrivez à Teleperformance, les responsables bombent fièrement le torse pour vous annoncer que l’entreprise est certifiée ISO 9002. A l’accueil, le regard du visiteur tombera fatalement sur un fac simile du certificat décerné par les différents organismes en charge de la vérification de cette norme… Concrètement, cette norme ISO 9002 garantit que l’entreprise bénéficie d’une excellent diffusion de l’information, de l’organisation, etc… A Teleperformance, il suffit de creuser (peu profond) pour se demander si ce certificat ne s’achète pas, voici mes raisons :

1. Plus de 100 nouveaux ordinateurs (Dell, une société Texane) ont été commandés et réceptionnés, étrange : les PC sont livrés sans cartes réseau ! les responsables techniques, au nombre de 2, devront ouvrir 1 à 1 les boîtiers desktop et installer les cartes, faute de quoi, les Chargés de Clientèle (commerciaux, en bon français) et autres Techniciens Conseils ne pourront utiliser l’Intranet et le logiciel permettant de gérer les comptes des abonnés Wanadoo, un bel exemple d’organisation, n’est-il pas ?

2. Les nouveaux employés en formation n’ont toujours pas de badges (nécessaires pour ouvrir les portes de l’entreprise), Teleperformance serait en rupture de stock et en aurait commandés; naïvement, je pensais que les entreprise fabriquant des badges n’avaient que ça à faire

3. Des employés présents depuis 2 mois, ayant donc terminé leur période de formation, ont encore un badge de stagiaire, c’est la même rupture de stock évoquée plus haut !

4. Le Service Comptabilité qui n’a que de la comptabilité à faire (enfin, c’est ce que je pense, mais il est vrai que je suis si naïf) se trompe souvent dans les fiches de paie (cf Rapport 01) et n’a toujours pas fourni aux nouveaux employés les Contrats de Travail qu’ils devaient signer le 1er jour de la formation (rappelez-vous : les promesses patronales n’engagent que ceux qui les reçoivent, c’est-à-dire les employés)

Mais que l’on ne s’inquiète pas : tout va bien à Teleperformance ! Le 5 juin, c’est la gestion de PARC (ou PARQUES) !

Ainsi, pour traiter les 800 000 abonnés de Wanadoo, Teleperformance a besoin de bras… qui tiennent le téléphone ! Craignant d’en manquer, c’est le recrutement à tout va, de quoi exciter Martine Aubry ! A Teleperformance, il n’y a pas de racisme : on embauche des blancs, des noirs, des arabes, des asiatiques, des jeunes, des vieux et même… des gens qui ne connaissent rien à l’informatique ! « Tu vas voir, on va te former ! Tu vas monter en compétence ! »
C’est le cas de Clément…

Clément fait partie de l’effectif de Teleperformance depuis 4 mois, il officiait au Service Commerciale, oh pardon, au Service Relation Clientèle ! Pourquoi passer Technicien Conseil ? Tout simplement parce que le salaire est trop bas et qu’une formation permet de toucher la fameuse prime de compétence (250 F à la première formation, puis 300, etc jusqu’à une limite de 700 F)… Pour la petite histoire, le pauvre Clément est complètement largué, c’est comme s’il devait apprendre l’anglais : la technique, c’est une autre langue pour lui !

Quant à François, qui habite Blois, on lui a assuré lors du recrutement : « comme vous habitez loin, nous en tiendrons compte dans nos plannings… » (rappelez-vous : les promesses patronales n’engagent que ceux qui les reçoivent, c’est-à-dire les employés) Le Résultat ne s’est pas fait attendre : pour la semaine du 28 mai au 3 juin 2001, il commence plusieurs journées à 7 heures du matin ! On n’ose imaginer à quelle heure il devra se réveiller à Blois ! Faisant judicieusement cette remarque à un Superviseur (les cerbères censés garder la porte de l’enfer des appels téléphoniques), François s’est vu réclamer ses horaires de train, histoire de lui montrer que l’on a parfaitement confiance en lui, le Service Recrutement a pourtant toutes ses coordonnées localisées à Blois…
Petite précision, les Formateurs nous assurent que le planning est conçu par un logiciel, il est vrai qu’il est tout de même moins aisé de faire des reproches à un logiciel ! Etrange : lors de la journée de recrutement (JIR), j’ai cru voir dans l’organigramme de Teleperformance, deux charmantes jeunes femmes censées s’occuper du planning, mes yeux m’auront trompé sans doute…

En attendant, le cirque continue : « Teleperformance va bien, nous sommes leader, vous allez monter en compétence, le Technicien conseil est au centre du dispositif, etc… » Quant à l’abonné Wanadoo, on le quitte de la manière suivante : « Monsieur X, je vous souhaite une bonne journée de la part de Wanadoo ! » C’est d’ailleurs à la limite du « foutage de gueule » : l’abonné paie un forfait internet, il a un problème, il appelle, il patiente longtemps, il paie la communication, France Telecom s’enrichit et le Technicien lui souhaite une bonne journée en raccrochant ! O douce ironie !

Je pourrais parler des heures avec vous, mais à Teleperformance, le téléphone, ça n’attend pas : interdiction de le laisser sonner 2 fois ! très mauvais ! pas bien ! honteux !
 « Service Client Wanadoo, [prénom + nom], bonjour ! »

Un futur employé (anonyme) de Teleperformance France

Teleperformance en live : Rapport n°1

TELEPERFORMANCE (Site de Paris Montparnasse) EN LIVE

RAPPORT 01 : FORMATION DE PARFAITS PETITS SOLDATS WANADOO

Tout d’abord, comme chaque employé d’une entreprise prestataire de services, il naît en moi une sorte de malaise, presque comme une confusion mentale : je travaille pour une entreprise appelée Teleperformance et toute la journée, j’ai des logos, des boîtes, des cd, des documents intranet estampillés Wanadoo… Certes, il s’agit de nous enfoncer dans notre crâne qu’à Montparnasse, nous travaillons tous pour Wanadoo, mais tout de même… C’est une situation bancale, et à la limite, je dirais que ça ns fait perdre nos repères…

Les Formateurs ainsi que les Directeurs du Recrutement passent leur temps à nous dire que ce sont les Techniciens Conseils qui font la force de Teleperformance… Eh bien, ils ont une bien belle manière de les remercier : salaires bas, flicage permanent par le biais des login des téléphones, give us back the money, comme diraient les Américains !
Une chose est certaine, malgré toutes leurs belles paroles de victoire, ils sont à la merci de France Telecom (lequel possède les bureaux) : si ce dernier rompt le contrat, cela entraîne le chômage de plus de 100 personnes… Ils font les fanfarons en nous assurant que le contrat de service client vient d’être reconduit, ce qui expliquerait pourquoi ils embauchent autant en ce moment… Mais Brice m’avait confié que Teleperformance avait eu des ennuis avec l’Inspection du Travail : trop de CDD…

Durant les différents cours liés à la formation, j’ai vraiment l’impression d’entrer dans une secte qui a ses couleurs, son code de comportement…

Mais tous leurs beaux discours me paraissent vains : les procédures qu’ils tentent de nous inculquer ne sont pas appliquées par ceux déjà en place… Pourquoi ? Parce que c’est un métier dur (travail 24h/24, 7 jours/7, horaires jour : de 7h à 0h, horaires nuit : de 22h à 7h, le planning n’est connu qu’une semaine à l’avance, impossibilité de le modifier) usant, avec des horaires épouvantables et des salaires qui ne poussent pas les employés à vraiment s’investir pour le produit… A mon avis, cela ne peut être qu’un travail qui permet de patienter pendant quelques mois, il y a d’ailleurs un fort taux de turn over, rien d’étonnant…
Aujourd’hui, j’ai appris qu’il valait mieux porter une chemise et une cravate pour être bien vu, si je passe en CDI, je sais ce qu’il me reste à faire pour monter en grade…

Bien sûr, il y a des délégués syndicaux (si vous désirez connaître leurs noms, je peux vous les fournir), mais un ancien m’a dit texto qu’ils ne font pas de vagues ! Voici les syndicats représentés : CFTC, CGC, CFDT, CGT, FO… Vous comprendrez aisément que j’ai besoin de temps, et surtout d’être en CDI pour faire quoi que ce soit… Pour l’heure, j’essaie de glaner des informations, je parle aux gens afin de sonder les esprits, c’est-à-dire qui y croit à fond, qui n’y croit pas, etc…

Jusqu’ici, nous avons eu trois formateurs :
- le 1er, Pascal, est d’après ce qu’on dit le meilleur formateur… Dynamique, sympa, il vendrait Teleperformance à un habitant du désert ! A l’entendre, tout le monde s’aime, tout le monde se tutoie, tout le monde travaille dans le même sens, nous serions une grande famille… C’est lui que nous avons eu le premier jour…
- le 2ème, Fabrice, s’est montré plus nuancé : des collègues peuvent vous faire des crasses, il arrive que les Superviseurs soient cons et (cerise sur le gâteau), on se tutoie mais on se fait des sales coups par derrière… Lui, nous l’avons eu durant près d’une semaine, il est mou, pas dynamique, l’on sent bien qu’il est là pour payer son loyer…
- le 3ème, Frédéric, est très très dynamique… Sourire facile, présente très bien, parle très fort… Pour lui, même son de cloches que Pascal : tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, on s’aime tous, la société est formidable…

Aujourd’hui, des événements sont venus rompre la monotonie des lieux :

Vs ne le savez peut-être pas, mais Teleperformance possède plusieurs centres d’appels dans toute la France. Il se trouve qu’il y en a un au Kremlin-Bicêtre et, figurez-vous, il est en grève? Motifs ? Salaires trop bas (7500 F brut), flicages de l’encadrement, etc.

Des militants de Sud sont venus distribuer des tracts à la sortie du site de Montparnasse (où je suis ma formation). La Direction de notre centre, craignant des invasions de type lanetroïen, a jugé bon de faire garder l’entrée du 2ème étage par des vigiles. Au retour du déjeuner, notre formateur (Frédéric) a cru bon de nous  » débriefer  » en ns assurant que les militants en bas de l’immeuble n’avaient rien à faire là, qu’ils n’appartenaient pas à Teleperformance, mais à France Telecom, que ce sont des fonctionnaires, etc.
Concernant le flicage, le même formateur ns a assuré que c’était normal que le Superviseur vienne vs chercher en salle de pause si cette pause excède les 10 minutes réglementaires, normal également que le Superviseur soit constamment sur le dos des Techniciens Conseils puisqu’il faut bien vérifier la qualité du travail des dits Techniciens… Il a ajouté aussi que le flicage ne dérange que les éléments suspects, c’est-à-dire ceux qui ne fichent rien…

Pour ajouter à ce tableau idyllique, j’apprends également aujourd’hui que mon futur employeur paie les employés vers le 5 du mois et qu’il arrive fréquemment que ce soit avec plusieurs jours de retard (le pire étant le 10 du mois, dixit des anciens de la Sté)… Mais cela ne suffit pas, il arrive fréquemment aussi que le Service Comptabilité oublie de payer les heures supplémentaires ! De plus, il fait souvent des erreurs sur les fiches de paie… Dire qu’au tout début, j’étais content de travailler pour une société 100% française ! Je me voyais déjà loin du souvenir des salaires lanetroïens versés en retard, eh bien, non, ça recommence ! Pour l’instant, je suis toujours en formation, je n’ai pas encore signé le contrat de travail, juste une déclaration unique d’embauche…

Au jour d’aujourd’hui, j’ignore si je vais demeurer dans cette entreprise. Je suis écœuré, mais je pense tout de même qu’il y a des combats syndicaux à mener. Je n’aime pas leur éternel discours du « tout va bien, on est les meilleurs ! », ça m’agace ! Ils utilisent des expressions maison qui m’irritent au plus haut point, la pire de toutes est « monter en compétence », le 3ème formateur nous a parlé « d’adaptabilité, de réactivité… »
Je n’aime pas leur arrogance, je n’aime pas leur façon de mettre au pas les employés : c’est une impression qui ressort quand je circule dans les locaux, une impression de verrouillage, une absence de liberté…
De toute façon, je suis soumis à de nombreux tests d’évaluation dès vendredi prochain, si je les réussis, j’éviterai le renouvellement de ma période d’essai et serai assuré d’un CDI à la date du 16 juin 2001…

En attendant, j’espère en apprendre davantage sur l’envers du décor. La Vérité n’est pas ailleurs, non, elle se trouve bien là, juste derrière les présentoirs, les prospectus et les boîtes de Packs Modem et autres Kits de connexion Wanadoo que l’on nous exhibe fièrement…

Un futur employé (anonyme) de Teleperformance France

Le logiciel libre, une alternative anarchiste ?

Avec le succès des logiciels libres, la presse « branchée » s’est emparée d’un nouveau scoop : une horde de hackers « anarchistes » peut mettre en péril les world-companies centrées sur l’édition du logiciel comme Microsoft. Et en effet, le fait que ces logiciels, développés en quelques années avec une logique non-commerciale, anti-hiérarchique et anti-propriétaire, puissent être technologiquement très supérieurs à des produits commerciaux classiques est une forte remise en cause des « lois du marchés » actuelles : propriété privée, secret commercial et management … En outre, leur caractère « gratuit » (par Internet, ou par des copains qui ont déjà le CD) et surtout « libre » (personne ne peut prétendre avoir des droits d’auteurs ou autres dessus, et les textes des programmes sont accessibles par tous) peut permettre aux utilisateurs de ne plus être dans l’état de consommateur soumis, imposé par Microsoft & co. Au contraire, les utilisateurs ont désormais la possibilité de modifier les logiciels pour leurs besoins personnels, et d’en faire profiter le reste du monde. Ceci pourrait bien influer sur un avenir qui dans ce domaine s’annonçait plutôt totalitaire. Néanmoins, cette communauté de hackers (composée de chercheurs universitaires ou de bénévoles passionés à travers le monde) n’a pas d’ambition révolutionnaire, et est tout à fait prête à s’accomoder au capitalisme, si celui-ci s’adapte à elle.

1. Historique

La production informatique mondiale a essentiellement trois origines : militaire, commerciale et « indépendante ». Cette dernière est due à des universitaires (relativement libres de l’orientation de leurs recherches) et des informaticiens passionnés indépendants (« hackers »), qui développent par plaisir ou pour la gloire. Historiquement, beaucoup de grandes avancées de l’informatique (comme Internet, Unix, le langage Ada, …) ont comme origine des vastes projets du gouvernement américain (ou de l’armée américaine) qui n’arrivant pas à terme à cause de leur démesure, ont été laissé comme « jouets » à des universitaires. Mais, depuis quelques années des grandes entreprises commerciales (IBM, Intel, Microsoft, …), qui ont la capacité de s’accaparer toutes les innovations, menacent d’asservir totalement l’informatique : un certain nombre de logiciels commerciaux risquent de devenir des « standards » incontournables. 
En réaction, les « indépendants » en impulsant le projet GNU et de la Free Software Foundation (fondation pour le logiciel libre) ont dévéloppé leurs propres logiciels avec des copyrights (appelés avec humour « copyleft ») qui permettent leur diffusion libre (et généralement gratuite), sans que quiconque ne puisse se les approprier. Et ces logiciels comme GNU-Linux ou Gimp concurrencent largement leur principaux « équivalents » commerciaux Windows-NT ou Photoshop. Par exemple, le serveur Web le plus utilisé dans le monde est un logiciel libre (nommé Apache).

2. Mode de production du « logiciel libre »

Si un mode de production « alternatif » (cf. [4]) a pu se développer sur une large échelle dans l’édition du logiciel, cela tient au fait que le coût de copie et de distribution d’un logiciel (par opposition au matériel) est quasi-nul : n’importe quel particulier peut inventer un programme qui va se propager sur l’ensemble de la planète. C’était déjà vrai dans les années 80 (le coût de copie de logiciels se comptait en disquettes), mais c’est encore plus vrai depuis les années 90 avec l’avènement mondial d’Internet : n’importe qui peut mettre ses logiciels sur sa page Web, et n’importe qui d’autre peut le télécharger (au prix de la télécommunication). L’essentiel du coût de production d’un logiciel réside donc dans la matière grise qu’il a fallu mettre en activité pour le « développer » (c’est-à-dire l’écrire). Au contraire, même si les universitaires participent à l’innovation matérielle, leurs inventions ne peuvent être produites en masse que par des entreprises.
Ayant des liens profonds avec le monde universitaire, cette production « indépendante » est souvent publique et collective. Chacun peut regarder le texte des programmes et y apporter ses propres modifications. Unix, un système d’exploitation (logiciel qui permet de gérer un ordinateur) créé dans les années 70, pour fonctionner en réseau, en multi-tâche et multi-utilisateur, est un bel exemple de ce type de production. Aussi, lorsque dans les années 80, AT&T (société américaine privée de télécommunications) s’approprie le copyright de ce logiciel, la communauté universitaire américaine est désemparée de se faire « voler » son bébé. Elle réagit en créant GNU (acronyme de « GNU is Not Unix »), un projet de continuer l’aventure Unix, en logiciel libre, c’est-à-dire protégé par la GPL (license publique générale, cf. [1]) empêchant ainsi des individus de prendre contrôle d’un projet collectif de développement de logiciel.
Cette création collective de logiciel jusqu’alors cantonnée autour de grands centres universitaires (comme Berkeley ou le MIT) s’est étendue à l’ensemble du monde avec Internet. Des milliers de particuliers ont participé au développement de Linux, un système d’exploitation pour PC de type Unix, gratuit, mais qui dépasse largement son commercial et onéreux concurrent Windows-NT. Et même s’il manque encore (mais plus pour longtemps) d’applications bureautiques (traitement de textes, tableur, …) « grand public », il compte aujourd’hui 7 millions d’utilisateurs dans le monde. Ainsi, le mode de dévéloppement même de Linux est une petite révolution dans le milieu. Il va à l’encontre des principes fondamentaux de l’organisation traditionnelle de la production : hiérarchie des décideurs jusqu’aux exécutants, secret commercial et propriété intellectuelle. En effet, n’importe qui peut développer son propre Linux dans le sens où il le désire. Mais, ce projet individuel ne peut prendre de l’envergure que si on parvient à convaincre le reste de la communauté de l’intérêt de ses idées. Pour cela, il faut communiquer…
La communication passe en général par les forums de discussions internet, et éventuellement le courrier électronique. Les participants de ces forums s’échangent des problèmes, des conseils, des solutions, … : chacun participe suivant son temps et ses connaissances pour retirer des connaissances de ces forums en faisant partager les siennes.
Cette forme chaotique de communication est le coeur d’une des principales forces de Linux : sa grande évolutivité. Cela se traduit notament par la fréquence élevée de ses mises à jour : jusqu’à plusieurs fois par semaine pour les versions instables (versions dans lesquelles ils restent pas mal d’erreurs), et de l’ordre d’une fois tous les deux mois pour les versions stables (versions utilisables par des utilisateurs novices). Traditionnellement, la fréquence des mises à jour se mesurent plutôt en année. Ce phénomène fait de GNU-Linux un système extrèmement fiable : étant donné le nombre de développeurs les erreurs sont détectées très rapidement, et elles sont presque aussitôt corrigées. Ainsi, les corrections du dernier bug du pentium (erreur matérielle au niveau du micro-processeur) étaient prêtes sous GNU-Linux quelques jours seulement après sa découverte.
La réussite de ce mode d’organisation tient au fait que la production du logiciel est hautement technique et évolue très rapidement. Un mode de production basé sur la compétition, la hiérarchie et le secret commercial est dans ce cadre nettement moins efficace qu’un mode de production basé sur la collaboration et la communication. En fait, c’est particulièrement évident pour les chercheurs universitaires, qui ont l’expérience qu’aucune recherche scientifique fondamentale de haut niveau n’est envisageable hors d’un cadre non-propriétaire (sans droits d’auteur) et ouvert (les recherches sont rendues publiques).
Le mode de développement du logiciel libre mérite donc sans doute le qualitif d' »anarchiste ». Mais cet anarchisme est assez individualiste. Les individualités qui ont des projets se lancent dedans avec le mot d’ordre « qui m’aime me suive », et si effectivement ils sont suivis, ils deviennent dans la pratique assez incontournables dans les prises de décisions fondamentales. C’est le cas de Linux, projet lancé par un étudiant nommé Linus Torvald (Linux vient de « Linus Unix »). Bien sûr, rien n’empêche ceux qui seraient en désaccord avec ces « leaders charismatiques » du projet, de continuer celui-ci dans leur coin selon leur guise.

3. Enjeux sur l’émancipation de l’utilisateur

Un autre aspect de la « révolution GNU-Linux » est la remise en question de l’utilisation du logiciel. En ayant le texte des programmes (et le droit juridique de les modifier), les utilisateurs ont désormais la possibilité de comprendre comment marche le système d’exploitation, et éventuellement d’aller modifier ce texte pour l’adapter à leurs besoins. Bien sûr, tous les utilisateurs n’ont peut-être pas le temps ni l’envie de devenir programmeur système, mais ils peuvent espérer avoir une plus grande indépendance vis-à-vis des développeurs du système. Par exemple, quand on est chez soi, on aime pouvoir bricoler un petit peu sans être plombier ou électricien. Ben là c’est pareil : on a la possibilité de bricoler ses logiciels sans être un expert. Et si on bricole souvent, on peut finir par devenir soi-même un expert.
Cela peut sembler peu de chose, mais cette possibilité est probablement ce qui fait la différence entre un monde technico-totalitaire, où les individus sont dépendants de quelques experts mondiaux qui protègent jalousement le secret de leur « magie », et un monde où la technique est au service des individus qui peuvent apprendre librement à la dominer.
Pour mesurer l’ampleur de cette ambivalence de l’informatique, à la fois outil de domination ou d’émancipation, on peut s’intéresser au rapport entre l’édition du logiciel et l’école. En effet, celle-ci peut justement soit servir à endoctriner les individus, soit leur apporter les connaissances et l’esprit critique qui en feront des êtres plus libres. D’autant plus que depuis quelques temps, on nous en rabat les oreilles : l’éducation représente un énorme marché (voire LE marché du XXIième siècle). Dans un contexte de privatisation de l’enseignement, le « passage aux nouvelles technologies » ou « la nécessité de combler le retard français » est un prétexte rêvé (par nos gouvernants) pour vendre l’école. Bill Gates (chef de Microsoft, et « self-made-man » le plus riche du monde), qui est politiquement très proche de Tony Blair a déjà passé des accords avec les travaillistes pour équiper les 32.000 écoles britanniques (sans doute en échange de soutiens financiers pendant la campagne électorale). Et le même type d’accord existerait avec les socialistes français.
En fait, depuis mars 1998, Microsoft propose en France un « label Microsoft » aux établissements d’enseignements supérieurs qui le désire. Les conditions d’obtention de ce label sont les suivants : « la formation sur les produits Microsoft doit être dispensée sur la base des supports de cours Microsoft disponibles » (à 350 frs HT par module et par élève), et « l’établissement doit répondre aux conditions de MICROSOFT CORPORATION, en matière de certification des instructeurs, d’installations et d’équipements des salles de cours ». En échange « Microsoft ne garantit pas que les supports de cours Microsoft sont aptes à répondre à des besoins ou des usages particuliers, ni qu’ils permettent d’atteindre des résultats déterminés » (cf. [2]). En clair, pour obtenir ce label, il faut se soumettre totalement aux conditions financières, techniques et pédagogiques de Microsoft. Pourtant, dans la folle course à l’emploi, ce genre de label risque d’être un passage obligé pour les établissements du type IUT ou école d’ingénieur, dont les étudiants sont destinés à servir les entreprises.
Plus concrètement, à quoi va ressembler un cours Microsoft ? Cela va consister à apprendre à utiliser des logiciels Microsoft de bureautique ou de navigation à Internet. Autant de choses aussi peu enrichissantes que peu utiles : quand les élèves sortiront de l’école, les outils qu’ils auront utilisés en classe seront périmés depuis longtemps, et il leur faudra apprendre en utiliser de nouveaux. Maîtriser l’outil informatique ne se résume pas à connaître les détails et les astuces d’utilisation de tel ou tel logiciel. En particulier, il est important d’avoir une attitude critique vis-à-vis des logiciels et du matériel, pour mieux les utiliser, et éventuellement les modifier, en fonction de ses besoins. Mais, l’enjeu pour Microsoft n’est pas d’apprendre aux élèves à se former des jugements sur les outils informatiques; au contraire, il s’agit de leur faire croire que les logiciels Microsoft sont merveilleux, et qu’en dehors d’eux, il n’y a rien.
Face à cela, les logiciels libres offrent une vraie alternative (cf. [3]) : les élèves pourront librement les copier pour les utiliser chez eux (la seule condition financière sera alors d’avoir un ordinateur), et les profs auront la possibilité de montrer ce qu’il y a derrière les petits boutons et les machins qui clignotent. Le fait que GNU-Linux soit une alternative crédible à leurs équivalents commerciaux a motivé en France la création de lobbies universitaires afin que l’éducation nationale utilise les logiciels libres pour s’équiper. Mais la partie est très loin d’être gagnée pour ces lobbies, Microsoft ayant une large avance auprès de la majeure partie des technocrates européens.

4. Incorporation du logiciel libre dans une logique commerciale

Les partisans du logiciel libre ne sont pas des révolutionnaires. Ce sont en général des programmeurs, qui n’ont pas envie de voir le monde du logiciel soumis à quelques grandes multinationales. Même si à l’heure actuelle, leur pratique est essentiellement non-commerciale, ils ne sont pas hostiles à la logique commerciale, surtout si celle-ci peut briser l’hégémonie des éditeurs de logiciels propriétaires. Le meilleur exemple de cet état d’esprit est l’enthousiasme qu’a sucité au sein de la communauté l’annonce de la compagnie Netscape de rendre publique les sources de son navigateur Web. Mais c’est pour résister à la concurrence de Microsoft qui à incorporé son navigateur à son système d’exploitation, que Netscape a décidé au printemps de faire suivre à son navigateur le même mode de développement que Linux. Netscape n’oeuvre pas pour le bien-être de l’humanité, mais pour son propre profit : grâce à la « mise en liberté » de son navigateur, cette compagnie espère que celui-ci va survivre (il était fortement menacé) et qu’elle va pouvoir faire des profits sur les ventes de livres à propos du navigateur, ou les ventes de CD de ce navigateur (même si un logiciel est gratuit sur internet, on préfère parfois acheter le CD, car c’est plus simple à installer), ou sur les ventes de ses autres logiciels (elle profitera de la publicité du navigateur).
Cette stratégie commerciale de Netscape a fortement agité la communauté du logiciel libre, car certains voudraient maintenant faire de la publicité envers les éditeurs de logiciels commerciaux afin de les inciter à passer sous la bannière du logiciel libre. Par exemple, ils voudraient renommer le terme anglais du logiciel libre, « freeware », qui est volontairement ambigüe, car « free » signifie à la fois libre et à la fois gratuit (ce qui évidemment peut effrayer les marchands). Le nouveau terme serait « open source » qui signifie que le texte des programmes est publique.

5. Conclusion :

Ce n’est pas demain le grand soir
.
La communauté du logiciel libre a mis en évidence quelques contradictions du capitalisme. En prenant des principes contraires à ceux des capitalistes, elle a été capable d’avoir une production d’une plus grande qualité technique. Mais la critique de ces contradictions restant très localisée, le capitalisme est déjà en train de s’adapter. Néanmoins, cette expérience est très intéressante, car elle montre que sur une production hautement technique, un comportement libertaire n’est pas utopique. Finalement, le logiciel libre ouvre sans doute des pistes pour résister à l’asservissement par les « Nouvelles Technologies ».

References :

[1] 
FSF. GNU General Public License (GPL).
[2] 
Roberto Di Cosmo. Piège dans le cyberespace.

[3] 
Bernard Lang. Contre la main mise sur la propriété intellectuelle, des logicels libres à la 
disposition de tous, Le monde diplomatique, janvier 1998.
[4] 
Eric S. Raymond. The Cathedral and the Bazaar.

La confidentialité du courrier électronique

Le contrôle de l’activité des salarié-e-s est une question sensible au sein des entreprises. 
La tentation est grande pour les directions de surveiller ses salarié-e-s par l’intermédiaire de la messagerie électronique. 
Le tribunal correctionnel a condamné 3 responsables de l’École Supérieure de Physique et Chimie Industrielle pour « violation de correspondance effectuée par voie de télécommunications » envers un étudiant. 
Il est manifeste que la question de la confidentialité du courrier électronique se pose, notamment au sein des entreprises informatique.

1. Dispositif juridique

Il est nécessaire de rappeler l’état du droit, bien maigre, en ce qui concerne la violation du courrier électronique.

a. Dispositions légales

Les dispositions juridiques applicables en matière de protection de la vie privée, en particulier au travail sont:

Article 9 du code civil
« Chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, tel que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée : ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé.  »

Article 226-15 du code pénal
« Le fait, commis de mauvaise foi, d’ouvrir, de supprimer, de retarder ou de détourner des correspondances arrivées ou non à destination et adressés à des tiers, en d’en prendre frauduleusement connaissance, est puni d’un an d’emprisonnement et de 300 000 F d’amende. Est puni des mêmes peine le fait, commis de mauvaise foi, d’intercepter, de détourner, d’utiliser ou de divulguer des correspondances émises, transmisses ou recues par la voie de télécommunications ou de procéder à l’installation d’appareils conçus pour réaliser de telles interceptions. »

Article L422-1 du code du travail
« Si un délégué du personnel constate, notamment par l’intermédiaire d’un salarié, qu’il existe une atteinte aux droits des personnes ou aux libertés individuelles dans l’entreprise qui ne serait pas justifiée par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnée ua but recherché, il en saisit immédiatement l’employeur. »

Article L432-2-1 du code du travail
« […] le comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés. »


Il est clair que le droit pénal, le droit civil et le droit du travail protègent le salarié d’une intrusion de la part de l’employeur dans sa vie privé qui peut aussi s’exercer le lieu de travail.

b. Jurisprudence

L’affaire citée en introduction et qui a eu droit à une couverture médiatique rappelle fermement que la violation de toute correspondance électronique à titre privé est délit répréhensible. 
Le tribunal a reconnu que « l’envoi d’un message électronique de personne à personne constitue de la correspondance privé ». 
Par conséquent, dans l’affaire évoquée, le courrier électronique violé constitue une correspondance, au sens classique, et d’autre part qu’il entre dans le cadre de la vie privé même s’il était rédigé sur un lieu de travail. 
Par conséquent, prendre connaissance du contenu du courrier électronique privé de ses salariés est un délit pénal. 
Cependant, l’usage répétitif du de l’outil de travail à titre privé et ce durant les heures de travail sans autorisation de travail peut constituer une faute. 
L’envoi de nombreux courriers électroniques à l’extérieur remplit la condition ci-dessus et peut constituer une faute pouvant justifier une sanction (lettre d’avertissement, mise à pied…). 
Tel a été le jugement porté par un tribunal des prud’hommes dans une affaire opposant une P.M.E. à un salarié accusé d’avoir envoyé à de nombreux courriers électroniques à un ancien salarié. 
D’autre part, le fait pour un employeur d’espionner n’est pas un droit pour l’employeur comme la chambre sociale de la cours de cassation l’a plusieurs fois rappelé.

2. La situation en entreprise

Il est donné à l’employeur un pouvoir de contrôle sur ses employés et leur activité. Pour ce qui concerne l’usage d’internet, notamment le courrier électronique, les entreprise mettent en place des chartes de bonnes conduites.

a. Droit de contrôle

L’employeur a tout à fait le droit de contrôler et de surveiller l’activité des salariés. 
L’article L432-2-1 du code du travail le stipule. 
Il peut donc librement surveiller l’utilisation d’Internet ou intercepter les mails. 
En revanche, il ne pourra pas utiliser les informations récupérées comme mode de preuve s’il n’a pas informé les salarié-e-s que l’utilisation de la messagerie peut être contrôlée et être utilisée dans le d’une procédure disciplinaire. 
Attention, lorsqu’on parle d’intercepter les mails, il s’agit de vérifier les destinataires ou les expéditeurs des emails mais en aucun cas de lire le contenu du mail. 
Si c’était le cas, l’employeur commettrait un délit prévu à l’article 226-15 alinéa 2 du nouveau Code pénal qui protège le secret des correspondances. 
Il existe un équilibre fragile entre protection de la vie privé du salarié et droit de contrôle de l’employeur.

b. Charte de bonne conduite

Afin de limiter un usage personnel excessif des outils informatiques (email, web), les entreprises mettent en place des chartes de bonnes conduites ou règlements régissant l’usage de l’ordinateur. 
Attention, la mise en place de tels dispositifs donnent à l’employeur une meilleure sécurité juridique pour contrôler le salarié en ce qui concerne l’usage du courrier électronique en limitant les risques de contentieux grâce à une information préalable. 
Toutefois la violation de courrier électronique non professionnel demeure un délit. 
Cependant, il faut être prudent notamment sur le plan du droit du travail où une faute peut être reprochée au salarié dès lors qu’il a été averti des règles de bonne conduite.

3. Sanctions

Avant tout, il est nécessaire de cerner les auteurs et ensuite de dire quels sont les sanctions attachés à la violation du courrier électronique sur un plan pénal et civil.

a. Auteurs

Si l’employeur cherche à prendre connaissance illégalement du courrier électronique d’un salarié, sa responsabilité est directement engagée. 
Si la demande de prise de connaissance vient d’un supérieur hiérarchique qui ordonne à l’administrateur de la messagerie de s’introduire par « effraction », dès lors la responsabilité de ce dernier peut être mise en avant si l’ordre est illicite. 
Cette responsabilité ne saurait être engagée vis à vis du salarié dont le courrier électronique aura été violé car, par un principe de pénal bien établi, seule la responsabilité du dirigeant sera engagée car il est responsable tant sur un plan pénal et civil des actes fautifs commis par ses salariés. 
Cependant, il peut se voir reprocher ue faute par son employeur pour avoir obéi à un ordre illégal donné par un supérieur hiérarchique.

b. Sanctions

Conformément aux dispositions de l’article 225-15 du code pénal, la sanction est d’un an d’emprisonnement et de 300 000F d’amende. 
D’autre part, le salarié qui s’est vu violé sa messagerie électronique peut sur la base de l’article 9 du code civil demander réparation du préjudice subi. 
Ainsi dans l’affaire citée dans notre introduction, les trois prévenus ont été condamnés à des amendes comprises entre 5 000 et 10 000 francs, en plus des 10 000 francs à verser au plaignant à titre de dommages et intérêts.

Le délégué du personnel

En principe nous refusons toute participations aux élections. Cependant, dans les entreprises du privé (et notamment dans l’informatique) être délégué du personnel est parfois le seul moyen de voir respecer les droits syndicaux élementaires ainsi que la protection des syndicalistes.

La mise en place

L’élection du délégué personnel est obligatoire dans les établissements regroupant au moins 11 salarié-e-s
Le nombre de délégués est fixé par voie réglémentaire en fonction de l’effectif des salarié-e-s.

Le mandat

Le délégué du personnel est élu pour deux ans et est rééligible, cependant une cessation anticipée de son mandat est possible (décès, démission,…).

Protection

Il est considéré comme un salarié protégé, par conséquent il bénéficie de mesures de protections contre le licenciement. 
II ne peut être licencié qu’après :
avis du comité d’entreprise ; 
  autorisation de l’inspecteur du travail.

Attributions

Il a pour mission de présenter les réclamatons individuelles ou collectives relatives aux salaires et à l’application : du Code du travail, des lois et règlements concernant la protection sociale, l’hygiène et la sécurité, des conventions et accords collectifs de travail applicables dans l’entreprise. 
Bien sûr, les employé-e-s peuvent présenter directement leurs observations à l’employeur.
Attention, les revendications visant la modification du statut du personnel (salaires, durée du travail,..) relèvent de la compétence des syndicats – délégué syndical, négociation collective-.
Il pourra saisir l’inspection du travail de toutes plaintes et observations relatives à l’application des prescriptions légales, réglémentaires et conventionnelles.
Il pourra aussi disposer des informations concernant d’autres domaines (non exhaustifs) : congés payés, registre du  personnel, protection contre les atteintes aux droits des personnes, documents relatifs à la durée du travail.

Exercice des fonctions

Afin que le délégué du personnel puisse assurer sa mission, son employeur doit mettre à sa disposition un crédit d’heures. 
Ce crédit d’heures est limité à 10 heures par mois dans une entreprise de moins de 50 salariés et à 15 heures par mois dans les autres entreprises. 
Un crédit d’heure supplémentaire sera accordé si son établissement ne dispose pas d’un comité d’entreprise ou d’un comité d’hygiène.
Le temps alloué à sa mission est considéré comme  temps de travail.
Attention, le temps passé en réunion avec l’employeur n’est pas déduit du crédit d’heures ci-dessus.
Un petit local devra être mis à sa disposition afin que le délégué du personnel puisse remplir sa mission.

Réunion avec l ’employeur

Les délégués du personnel sont reçus collectivement par le chef  d’établissement au moins une fois par mois.
Cependant, en dehors de cette réunion mensuelle obligatoire, il peut saisir l’employeur pour réclamation individuelle ou  collective d’un ou plusieurs salariés.
Un refus de la part de l’employeur serait constitutive d’un délit d ‘entrave.
Pour les modalités, le délégué du personnel doit avertir par écrit l’employeur, deux jours ouvrables avant la date de la réunion mensuelle, des points qu’il désire soumettre.
L’employeur devra répondre par écrit aux points ci-dessus par décision motivée au plus tard dans les six jours ouvrables suivant la réunion.
L’ensemble des demandes et réponses est consigné dans un registre spécial consultable par les salarié-e-s.

Contacts

Le délégué du personnel peut organiser une permanence dans le local qui lui est attribué et pourra bénéficier d’une ou plusieurs boîtes aux lettres dans l’entreprise.
Il pourra se déplacer librement à l’intérieur  ou à l’extérieur de l’entreprise pour prendre des contacts avec les salarié-e-s.
Bien sûr, il a droit d’informer les salarié-e-s de son action par affichage (panneaux réservés) ou tracts.

Les conventions collectives

Nos contrats de travail et nos conditions de travail sont régis par des conventions collectives nationales, signées entre syndicats représentatifs et patronat.
Nous ne participons pas à ces négociations car toute négociation ne peut selon nous être menée que suite à l’établissement d’un rapport de force entre salarié-e-s et patronat. Comme objectif idéal nous n’avons d’ailleurs qu’une seule négociation à mener: les modalités de disparition de la fonction de patron.
Cependant, en tant que syndicat, nous sommes amenés à défendre nos intérêts dans les conditions actuelles du monde du travail. En cela, les conventions collectives sont des textes de référence qui peuvent par exemple servir à contester un licenciement devant les prud’hommes ou faire pression sur un employeur, textes à l’appui…
Mais elles sont aussi une arme dont se servent les patrons pour exploiter à leur convenance…
Le secteur de l’informatique est surtout régi par deux conventions collectives nationales : celle de la SYNTEC et celles de la métallurgie. Vous pouvez consulter la convention SYNTEC ici et constater à quel point elle est très favorable aux patronat.