Les risques psycho-sociaux : le stress

Plus de 97 % des DRH déclarent que le bien-être psychologique des employés est un enjeu important pour l’entreprise et précisent que c’est un levier pour améliorer les relations internes, attirer les talents, augmenter la compétitivité et la productivité. Les salariés marquent un intérêt plus marqué : 2/3 le jugent « très important » contre 55 % des DRH. Et pourtant, la réalité des entreprises, et en particulièrement des SSII, est tellement éloignée de ce paradis fantasmé.

La mécanique du stress

Le stress est une réaction physiologique naturelle du corps pour répondre à une agression.

Pour réagir à une agression ponctuelle, le corps va secréter des hormones : les catécholamines (adrénaline, noradrénaline, dopamine). Elles ont pour effet d’alimenter en oxygène, cerveau, muscles, et cœur et de stimuler le cœur, en augmentant la fréquence cardiaque, la pression artérielle, et la température du corps. Puis vient la sécrétion d’autres hormones : les glucocorticoïdes qui alimentent les muscles en sucres. Ces hormones ont la particularité d’être régulés par des récepteurs dans le système nerveux central qui en arrête la production en cas de surabondance dans l’organisme. Une fois que l’agression a disparu, le corps reprend son rythme normal.

Mais il peut arriver qu’une situation de stress dure : C’est le stress chronique (par opposition au stress aigu qui répond à une alarme ponctuelle). Le corps est alors en réaction permanente et les capacités de l’organisme sont débordées. Le système nerveux central qui régule la sécrétion d’hormones devient inefficient. L’organisme, produit toujours plus d’hormones jusqu’à en être submergé. A force d’être activé, il s’épuise

Les agressions : Quelles sont elles ?

Globalement, le stress survient lorsqu’il y a déséquilibre entre la perception qu’une personne a des contraintes que lui impose son environnement et la perception qu’elle a de ses propres ressources pour y faire face. Mais, dans les faits, il existe un nombre conséquent de facteurs responsables du stress chronique au travail. Si 20 % des salariés européens estiment que leur santé est affectée par des problèmes de stress au travail, ce chiffre monte beaucoup plus haut dans les métiers de l’informatique tant les facteurs déclenchant y sont nombreux.

  • Facteurs liés à la tâche ou liés au contenu même du travail à effectuer

Parmi ces facteurs, il y a la fois les exigences quantitatives. Il est très fréquent sur les projets d’avoir à tenir des délais avec des charges de travail totalement incohérentes. Qui n’a pas connu les affres des semaines précédant les mises en production ?

Il y a également les exigences qualitatives. Les projets étant de plus en plus standardisés, la qualité doit être maintenue, malgré la surcharge de travail.

L’inadéquation entre les compétences et la nature des tâches sur la mission est également une source de stress importante puisqu’elle oblige le salarié à se former sur son temps de travail tout en censé être pleinement productif pour la tâche demandée. Les sociétés qui trafiquent les CV pour placer des prestataires ou celles qui envoient leurs prestataires sur des mission en se disant que le profil correspond »à peu près » au poste ont une lourde responsabilité dans le stress de leurs salariés, et dans ses conséquences sur leur santé.

La fragmentation de plus en plus poussée des taches, dans un cycle en V qui se complexifie avec l’apparition de l’offshore fait aussi partie de ces facteurs. En ne comprenant plus le sens de travail parce que le fait de n’être plus qu’un maillon d’une longue chaîne de conception décidée en haut lieu, le sens du travail accompli avec la satisfaction d’observer l’objet réalisé s’amenuise fait perdre de sons sens au travail, et alourdit le sentiment de contrainte dans la balance effort à fournir/résultat accompli.

  • Facteurs liés à l’organisation du travail

Parmi ces facteurs, il y a tout d’abord la mauvaise planification des tâches et une répartition trop rarement contrôlée.  Les projets font souvent une étude théorique en amont qui ne colle jamais à la réalité : Qui n’a jamais été sommé d’interrompre une tâche qu’il était en train de faire pour en commencer une autre ? Qui n’a pas eu son rythme de travail imposé par des demandes à devoir réaliser immédiatement ?

L’impression des missions confiées est aussi un facteur de stress important. Un salarié qui ne sait pas précisément ce qu’un employeur ou un client attend de lui, ni sur quelle base, il sera évalué, ne pourra que stresser en se demandant ce qui pourra lui satisfaire son désir de reconnaissance, que ce soit en perspective d’évolution de carrière, en augmentation de salaire, ou autre.

La précarité de certains contrats de sous-traitance, et la pression qui s’exerce en particulier sur les indépendants sont également des facteurs de stress, quand certains intervenants ne savent pas quoi demain sera fait alors que ceux de l’intégrateur, ou ceux de la société correctement référencée auront plus de facilité à envisager leur avenir sur le poste

La réorganisation incessante du travail est aussi une autre source de stress importante très répandue dans les SSI, que ce soient sur les projets, ou pour les personnels administratifs travaillant au siège, d’autant plus qu’au fur et à mesure des fusions dans le grand monopoly capitalistique, nos cultures latines se heurtent de plus en plus souvent aux méthodes de gestion anglo-saxonnes.

  • Facteurs liés aux relations de travail

Le fait que les projets soient confiés à des intervenants de plusieurs sociétés sous-traitantes, avec chacune leurs propres intérêts à défendre entraînent souvent des conflits psychologiques, très difficiles à surmonter, comme à chaque fois qu’il y a un conflit dans une autorité qui donne des ordres contradictoires : Dois je satisfaire le client ou l’intégrateur quand ils me donnent des ordres incompatibles ?

La multiplication des sociétés intervenantes sur un même projet entraîne des situations de concurrence et de conflit qui n’aident pas à un bon soutien psychologique de ses collègues, comme cela est plus facilement entre salariés d’une même entreprise.

Il faut préciser ici quelque chose d’important. Les relations de travail peuvent être pourries par un management incompétent, mais aussi par un management autoritaire. Ce management autoritaire n’est pas forcément un excès de zèle d’un manager, mais découle de méthodes management théorisés et enseignées (méthode Hoshin, Lean management, pyramide de Maslow etc..). Dans les théories enseignées aux managers, il est commun de penser qu’il y aurait un mauvais stress (celui qui rend malade), et un bon stress (celui qui permettrait une meilleure implication dans le travail et une plus grande motivation des salariés). Mais ces notions de « bon stress » et « mauvais stress » n’ont aucune valeur scientifique. Il n’y a scientifiquement que deux formes de stress, le stress aigu et le stress chronique qui ont des répercussions différentes sur l’organisme.

Au-delà du management autoritaire, il y a encore une étape supplémentaire lorsqu’un manager n’hésite pas à se livrer au harcèlement moral pour pousser un salarié à la démission.

Pour les femmes, il y a aussi le harcèlement sexuel  qui peut exister. Le monde de l’informatique est encore un monde qui a beaucoup de retard dans sa vision des rapports hommes/femmes. Et être une femme dans une SSII est encore trop souvent un handicap lourd à porter.

  • Facteurs liés à l’environnement physique et technique

Le travail en bureau paysager, ou « open space » est aussi une source incommensurable de stress. Comment être serein quand on doit travailler des journées entières en se demandant si quelqu’un derrière vous ne regarde pas ce qu’il y a sur votre écran ? Ou lorsque l’on doit avoir une communication téléphonique privée que tout le monde peut entendre ?

  • Facteurs liés à l’environnement socio-économique de l’entreprise

Ces facteurs aussi sont nombreux dans l’industrie informatique.

La nature même de la prestation est un facteur important. N’avoir que des contacts sporadiques avec le personnel du siège qui est censé vous suivre mission après mission ne permet d’avoir le sentiment de soutien qu’un salarié est en droit d’attendre lorsqu’il est confronté à des problèmes qui lui apparaissent insurmontables chez son client. L’éloignement en mission n’aide pas non plus à aider le salarié à aller pousser la porte du médecin du travail.

La menace de l’intercontrat, la menace de l’offshore viennent aussi se rajouter. L’intercontrat est souvent vécu comme quelque chose de dévalorisant. Les SSII font beaucoup pour que les salariés en intercontrat éprouvent un sentiment d’inutilité (obligation de se présenter au siège pour y faire des tâches indues, voire rien du tout) et de culpabilisation (prise en compte du nombre de jours facturés dans les évaluations de fin d’années, alors que le placement en mission est le travail des commerciaux ou des responsables du staffing)

Depuis quelques années est aussi apparue la peur de l’offshore. La mode de sous traiter le développement dans des pays à bas coût, quand ce ne sont pas des pans entiers des projets ou des TMA a mis une énorme pression sur les salariés qui doivent tenir compte de la menace de voir leur travail disparaître s’ils ne sont pas assez performants.

Enfin, aussi bien dans les SSI que dans les entreprises de télémarketing, l’absence de stratégie d’investissement à long terme a aussi rôle. Pendant que l’industrie peut décider de plans industriels donnant une visibilité sur plusieurs années, les salariés des SSII subissent, eux, directement, les conséquences des résultats financiers immédiat de leur entreprise. Quand le seul objectif de la SSII est de préserver la marge bénéficiaire pour soutenir le cours immédiat de l’action, le manque de visibilité sur l’avenir et le sentiment de précarité viennent aussi mettre beaucoup de pression sur le salarié.

Les conséquences : c’est du perdant-perdant

Il est évident qu’épuiser l’organisme à force de stress n’est pas sans conséquence.  La production n’y gagne rien avec la chute de productivité des salariés ou le taux d’absentéisme par maladie

Le stress nuit à la fois  à l’efficacité économique de l’entreprise et au bien être des travailleurs. Il ne s’agit pas de s’étendre sur le premier point ; ce serait plutôt le travail du Syntec ou du Medef. Et pour nous, la vie et la santé des travailleurs valent bien plus que n’importe quel cours d’action ou n’importe quelle marge bénéficiaire. C’est aux patrons de se demander  dans quelle mesure, la stimulation par l’effet de peur leur rapporterait plus que l’effet de blocage.  Nous n’aborderons donc ici que les conséquences du stress sur la santé et la  vie des salariés. Et ces conséquences sont aussi nombreuses que les facteurs de stress : troubles musculo-squelettiques, troubles cutanés, troubles du sommeil, trouble de l’appétit, maux de tête, nervosité accrue, affaiblissement des barrières immunitaires, surmenage, burn-out, accidents vasculaires cérébraux, artériosclérose, ruptures d’anévrisme, infarctus, dépressions, et même suicides (le grand tabou du patronat français)

Les ravages psychologiques du stress peuvent être impressionnants à la lecture de l’actualité, mais les risques physiologiques ne doivent pas être négligés tant il font des ravages. En effet, les maladies cardio-vasculaires déciment bien plus que les suicides, et même bien plus que les accidents de la route. Et, une très grande partie d’entre elles, notamment pour les hommes, sont liés au stress professionnel. Les études montrent que le sentiment d’oppression au travail pouvait multiplier par 2,5 les risques d’artériosclérose au niveau de la carotide par rapport à des salariés non soumis au stress.

Quant aux risques psychologiques, ils ont des conséquences qui peuvent être catastrophiques. Avec le burn-out, vient la démotivation, la perte d’estime de soi pour ne pas avoir atteint les objectifs attendus sans pouvoir prendre le recul nécessaire pour se rendre compte qu’ils étaient inatteignables. Pour peu que le salarié ait surinvesti dans son travail, c’est la dépression qui prend la suite parce que c’est son monde qui s’effondre. Et il est tellement facile de surinvestir dans son travail dans l’informatique avec la porosité entre vie privée et vie professionnelle mise en avant dans tant d’entreprises du secteur. Combien d’entreprises vendent leur réputation à leurs propres salariés ? Quel célèbre éditeur de jeu vidéo, quel cabinet de conseil prestigieux, quel grand éditeur de logiciel ne vend pas à ses propres employés la fierté d’appartenir à un fleuron du monde de l’informatique qui vaut bien qu’on lui sacrifie sa vie privée ?

Le dernier risque au bout de la dépression, est le suicide. Le Medef est l’un des touts derniers syndicats patronaux d’Europe, à toujours refuser de faire et de publier des statistiques sur le suicide en entreprise. Mais pourtant, les faits divers s’accumulent et qu’ils ciblent particulièrement les SSII, et nous savons tous que si cette triste comptabilité devait être tenue, elle mettrait en évidence que toute la propagande des entreprises pour vendre leurs métiers aux jeunes qui sortent de l’école, ne vaudrait pas plus que les discours d’Ali le comique, le ministre de l’information de Saddam Hussein qui annonçait la défaite des troupes américaines pendant que les chars américains rentraient dans Bagdad.

Ne pas subir le stress

Il n’y a pas de secret pour se prémunir du stress au travail et de ses nombreuses conséquences ; Il faut  apprendre à dire non à sa hiérarchie : Non au commercial qui cherche à imposer une mission déqualifiante, ou une mission trop éloignée, mal définie, ou ne pas laisser croire au client que l’on a toutes les compétences pour le poste quand elles ont été inventées par le commercial, non au directeur de projet qui cherche à imposer des horaires tardifs ou des astreintes le week-end pour tenir le délai, non à la succession de travaux urgents devant être réalisés immédiatement en dehors de toute planification, non aux ordres contradictoires entre les différents décideurs d’un projet, non  aux managers qui ne savent s’exprimer qu’en vociférant, non aux différentes stratégies pour monter les intervenants les uns contre les autres.

Enfin, il ne faut pas se laisser enfermer dans l’isolement. Tu n’es pas seul. Le syndicat est là !

1 réflexion sur « Les risques psycho-sociaux : le stress »

  1. EVENSTAD

    Quelques résultats du recherche sur le burn-out dans le secteur TIC
    Bien que King cite le déploiement de technologies de plus en plus nouvelles et complexes, Ludlum souligne des longues heures, des délais irréalistes, profileration des nouvelles technologies comme les raisons principales de l’épuisement professionnel. Sethi a trouvé que la ambigüité de rôle et le conflit de rôle sont positivement corrélés avec l’épuisement professionnel. Selon McGee, la technologie de bureau virtuel, les demandes de la haute direction, et la réduction des effectifs sont quelques-uns des facteurs clés menant à l’épuisement professionnel. Elle pense que le stress et l’épuisement professionnel est plus grave pour les professionnels de l’informatique, car ils doivent se assurer que la technologie et les systèmes fonctionnent 24 heures x 7 jours. Selon Li et Shani le surcharge de travail est la source principale du stress au travail, suivie par le conflit de rôle, l’anxiété induite par l’emploi, puis l’ambiguïté de rôle. Selon Pawlowski et al. (2007), les longues heures et forte charge de travail était les facteurs de stress les plus fréquents, surtout dans un contexte de projet. Multi-tâches, les questions de compétences (le peur de l’obsolescence, actualiser ses compétences suivre la nouvelle technologie), l’interaction avec les utilisateurs, la gestion et la supervision inefficaces, l’intensification de la concurrence des entreprises, le ralentissement dans le marché de l’emploi IT, l’externalisation offshore, la précarité, l’interface domicile-travail étaient également les facteurs de stress importants. Selon Huarng, les niveaux d’épuisement diffèrent selon leurs types d’emploi et les contenus de travail. Professionnels de l’informatique qui travaillent en liaison entre les utilisateurs et d’autres professionnels de l’informatique sont le groupe le plus épuisé. Après c’est le développeurs d’applications qui sont le plus épuisé. Selon Moore (2000) les professionnels de l’informatique qui connaissent des niveaux plus élevés d’épuisement signalent une hausse des intentions de quitter le travail. Surcharge de travail, l’ambigüité de rôle et de conflit, le manque d’autonomie et le manque de récompenses sont des variables qui influent sur l’épuisement. Surcharge de travail est souligné comme le plus fort contributeur à l’épuisement où le personnel et les ressources insuffisantes est le problème principal.

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